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Menace sur le lézard vert de Manapany (La Réunion) : Quels moyens juridiques de lutte contre le grand gecko vert de Madagascar ?

11/07/2011



Le lézard vert de Manapany (Phelsuma inexpectata), reptile endémique de l'île de La Réunion autrefois considéré comme une sous espèce de Phelsuma ornata, le gecko diurne orné de l’île Maurice, est protégé par l’arrêté du 17 février 1989 fixant des mesures de protection des espèces animales représentées dans le département de La Réunion (JORF, 24 mars 1989, p. 3881).
A ce titre « sont interdits en tout temps sur tout le territoire du département de la Réunion, la destruction ou l'enlèvement des œufs, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la naturalisation des reptiles d'espèces suivantes ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ».

 Malgré cette protection forte du Lézard vert de Manapany, l’espèce est, depuis juin 20101, menacée par l’arrivée d’un lézard exotique envahissant dans son aire de répartition : le grand gecko vert malgache (Phelsuma grandis). Celui-ci, de grande taille, omnivore, se nourrit d'insectes, de produits sucrés d'origine végétale, mais aussi d'autres geckos. Il est ainsi le prédateur du Lézard vert de Manapany et pourrait conduire à la raréfaction, voire à l'extinction de l’espèce endémique dont l’aire de répartition est extrêmement réduite, située entre la plage de Grande Anse et l'embouchure de la rivière Langevin sur le territoire des communes de Petite-Île et de Saint-Joseph sur le lieu-dit Manapany.

Dans ce contexte, quels moyens juridiques de lutte précoce peuvent être envisagés ?

I – Le classement du grand gecko vert malgache comme « espèce interdite d’introduction » par le ministre


La première difficulté qui se pose est celle du statut juridique du grand gecko vert malgache. Le droit français donne en effet aux espèces différents statuts : domestiques ou non domestiques, gibiers comprenant les espèces susceptibles d’acte de chasse, espèces « nuisibles », etc. Dans cet ensemble, le droit peine à donner une place à l’espèce exotique envahissante. Le grand gecko vert malgache ne relève d’aucun statut particulier. 
Une première mesure à prévoir serait donc de faire figurer le grand gecko vert malgache sur la liste des espèces interdites d’introduction dans le milieu naturel au titre de l’article L. 411-3, I du Code de l’environnement. Cette liste, dressée par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l'agriculture, permettrait à l’autorité administrative compétente de « procéder ou faire procéder à la capture, au prélèvement, à la garde ou à la destruction des spécimens de l'espèce introduite ». Les listes existantes à ce jour ne concernent que le territoire métropolitain.

Avantage : une telle mesure permettrait de lutter contre le grand gecko vert malgache dans un cadre juridique adapté à la situation.
Inconvénient : la procédure d’élaboration des listes d’espèces interdites d’introduction peut être longue (arrêté ministériel) et ne répond pas à une situation d’urgence qui impose une riposte précoce.  

II – Le classement du grand gecko vert malgache comme « espèce interdite d’introduction » par le préfet

Le ministre est l’autorité de police spécialement compétente pour prendre des mesures contre les espèces exotiques envahissantes (article L. 411-3 du code de l'environnement). 
Une telle compétence empêche en principe l’intervention d’une autorité de police administrative générale comme le préfet, sauf pour deux raisons : 

  • pour aggraver les mesures en cas de circonstances locales particulières2 et, en matière environnementale de péril imminent3;
  • pour palier la carence de l’autorité détentrice du pouvoir de police spéciale4.

Sur ce fondement jurisprudentiel, des arrêtés préfectoraux ont déjà été pris en Martinique, pour autoriser la destruction de l’Iguane vert5 ou en métropole s’agissant de la Bernache du Canada6 ou de l'Ouette d'Égypte7. Aucun de ces arrêtés n’a semble-t-il été attaqué devant un tribunal.

Dans ce contexte, l’intervention du préfet pour permettre de lutter précocement contre le grand gecko vert malgache, semble possible.
Les « circonstances locales particulières » sont facilement identifiables à travers l’endémicité du Lézard vert et son aire de répartition très réduite.
Le « péril imminent » dont le concept renvoie à la notion de l’immédiateté définie comme « l’urgente nécessité de faire face à des risques graves et caractérisés » est également défendable, la menace pesant sur le Lézard vert de Manapany pouvant conduire à l’extinction de l’espèce sur la planète.
Enfin, la carence de l’autorité détentrice du pouvoir de police spéciale se situe dans l’absence d’arrêté ministériel pris sur le fondement de l’article L. 411-3 du Code de l’environnement permettant de procéder à la capture ou au prélèvement du grand gecko vert malgache.

Avantage :la prise de décision peut être rapide (arrêté préfectoral) et répond à l’urgence de la situation.
Inconvénient :la légalité de l’arrêté dépendra de l’éventuelle appréciation que feront les juges de la notion de « péril imminent » maniée avec circonspection, car elle engendre une modification momentanée de la répartition des compétences entre les autorités de police. Il reste qu’à notre connaissance, aucun arrêté préfectoral pris sur le fondement de l’article L. 411-3 du Code de l’environnement n’a été attaqué devant les tribunaux.

III – Le classement du grand gecko vert malgache comme « gibier » dont la chasse est autorisée

S’agissant de supprimer – ou de réguler – une population envahissante, et à défaut de mesures prises sur le fondement de l’article L. 411-3 du Code de l’environnement, le recours au droit de la chasse pourrait être envisagé. L’acte de chasse étant conçu comme « un acte volontaire lié à la recherche, à la poursuite ou à l’attente du gibier ayant pour but ou pour résultat la capture ou la mort de celui-ci » (article L. 420-3 du code de l'environnement) pourrait en effet permettre de lutter efficacement contre le grand gecko vert malgache.
En droit français, les actes de chasse ne peuvent être entrepris qu’à l’égard d’espèces gibiers dont la chasse est autorisée. Un arrêté du 25 août 2008 fixe la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée sur le territoire du département de La Réunion (JORF 31 août 2008, p. 13713). Le grand gecko vert malgache ne figurant pas sur cette liste, il ne peut pas faire l’objet d’acte de chasse.
Cependant, inscrire ce lézard sur une telle liste ne semble pas tout à fait pertinent : le message deviendrait équivoque puisque l’espèce envahissante serait alors traitée comme n’importe quel gibier.

Avantage :l’acte de chasse peut constituer un mécanisme utile de lutte contre la propagation du grand gecko vert malgache.
Inconvénients :

  • la procédure de révision des listes d’espèces gibiers peut être longue et ne répond pas à une situation d’urgence qui impose une riposte précoce. Elle exige en outre une modification de l'article R. 424-12 du Code de l'environnement relatif aux périodes de chasse.
  • l’espèce introduite sera considérée comme n’importe quel gibier, la situation restant ambivalente.
  • on ne sait pas si l’espèce fera réellement l’objet d’une pression de chasse par la population locale.  

IV– Le classement du grand gecko vert malgache comme « nuisible »

Des animaux sont considérés comme « nuisibles » en fonction des dommages qu’ils peuvent causer aux activités humaines et aux équilibres biologiques. Leur liste est fixée par un arrêté ministériel après avis du Conseil national de la chasse et de la faune8. Ces animaux peuvent notamment être régulés par le piégeage9 ce qui s’avèrerait intéressant pour le grand lézard vert malgache. Pour l’heure, ce dernier ne figure pas sur la liste des espèces « nuisibles ».

Avantage : les particuliers pourraient détruire le grand lézard vert malgache dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore.

Inconvénient : la procédure de révision de la liste peut être longue (arrêté ministériel) et ne répond pas à une situation d’urgence qui impose une riposte précoce. 

V- Protection de l’aire de répartition du Lézard vert de Manapany

En complément du contrôle direct des espèces exotiques, le droit des aires protégées peut être un outil privilégié d’observation des populations animales et végétales, de leur évolution et donc aussi des introductions. Il reste qu’aucune disposition générale n’oblige les textes de classement d’aires protégées à réglementer les introductions d’espèces exotiques. Tout dépend de la rédaction de l’acte de création de l’aire protégée. 
Pour l’heure, le lézard de Manapany n’est inclus dans aucune aire protégée. 
Si le droit des parcs nationaux et des réserves naturelles permet de prévoir les moyens de lutter contre les espèces envahissantes – ce que les actes de création font généralement – en revanche, les arrêtés préfectoraux de biotope, contraints par les limites de leur régime juridique, ne peuvent que prohiber l’introduction d’espèces sans prévoir et organiser les modalités de destruction d’une espèce exotique déjà présente. 

Avantage : permet la gestion à long terme du Lézard vert (surveillance de la population, moyens humains et matériels, mesures de lutte…).

Inconvénients : longueur de la procédure et problèmes éthiques s’agissant de détruire des espèces de faune ou de flore au sein même d’un espace où la nature dans son ensemble est en principe protégée. 

 

1 N. Dubos stagiaire Master 2 MNHN – NOI.
2 CE, Section, 18 décembre 1959, Société les films Lutétia, Rec. p. 693.
3 Ainsi en est-il à l’égard de l’intervention d’un maire en matière d’installations classées (CE, 15 janvier 1986, Société Pec-Engineering et CE, 29 septembre 2003, Houillères du bassin de Lorraine), de police spéciale de l’eau (CAA Nancy, 5 août 2004, Préfet de la Haute-Saône contre commune de Saulnot, req. n° 02NC00779) et d’organismes génétiquement modifiés (CAA Versailles, 18 mai 2006, Commune de Dourdan, req. n° 05VE00098).
4 CE, 8 mars 1993, Commune des Molières, Rec. p. 655.
5 Arrêté n° 05/0589 du 28 février 2005 autorisant la destruction des spécimens de l’espèce Iguana iguana ou Iguane vert en Guadeloupe.
6 Voir par exemple : Arrêté n° 2010/DDEA/SEPR/221 du 12 mai 2010 fixant les modalités de régulation des Bernaches du Canada (Branta Canadensis) dans le département de Seine-et-Marne pour les années 2010 et 2011.
7 Voir par exemple : arrêté préfectoral du 24 mai 2011 prescrivant des opérations de destruction à tir de l'Ouette d'Egypte dans département du Bas-Rhin.
8 Voir arrêté du 30 septembre 1988 fixant la liste des animaux susceptibles d'être classés nuisibles, JORF 2 octobre 1988, p. 12439.
9 Voir arrêté modifié du 29 janvier 2007 fixant les dispositions relatives au piégeage des animaux classés nuisibles en application de l'article L. 427-8 du code de l'environnement, JORF 18 avril 2007 p. 6961.

© TEMEUM, juillet 2011, Lucile STAHL, avec la contribution de Catherine JULLIOT  (DEAL La Réunion), Maxime VIGNAUD (Office national de la Chasse et de la Faune Sauvage, Direction de la police), et Sylvine AUPETIT (juriste en charge du Code de l'environnement de la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie).

Territoire concerné: 
Océan Indien, Réunion