Au lendemain de la signature par la France du Protocole de Nagoya à la Convention sur la diversité biologique, la Polynésie française vient de se doter de son propre dispositif d’accès aux ressources biologiques et de partage des avantages résultant de leur valorisation (APA).
La loi du pays n° 2012-5 du 23 janvier 2012 a été adoptée par l’Assemblée de Polynésie française le 1er décembre 2011 au terme d’un long travail interrompu par les changements successifs de gouvernement. La collectivité d’outre-mer remplit ainsi ses obligations internationales et atteint l’un des objectifs fixés dès 2006 dans la Stratégie polynésienne de conservation de la biodiversité. Elle rattrape également son retard face à la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie, qui dispose déjà d’une réglementation APA depuis 2009. Ces deux collectivités marquent cependant leur avance sur l’État, qui lui, n’a toujours pas légiféré.
La loi du pays insère dans le code de l’environnement polynésien un nouveau chapitre, intitulé « Accès aux ressources biologiques et partage des avantages issus de leur valorisation », composé de 18 articles. Elle complète également l’article LP 100-1 par plusieurs définitions utiles, inspirées de la Convention sur la diversité biologique, des Lignes directrices de Bonn et du Protocole de Nagoya.
Le nouveau dispositif s’articule autour de deux axes :
- l’encadrement de l’accès aux ressources biologiques visées soumettant à autorisation administrative leur collecte et leur utilisation ;
- l’octroi à la Polynésie française d’avantages issus de la valorisation de ces ressources.
1) Accès aux ressources biologiques : régime d'autorisation administrative
Tout d’abord, les nouvelles dispositions soumettent à l’autorisation du conseil des ministres tout accès (collecte et utilisation) aux ressources biologiques et aux connaissances traditionnelles associées, à des fins de recherche scientifique, d'enseignement supérieur, de conservation et/ou de collection à titre professionnel, de bioprospection, d'application industrielle ou d'utilisation commerciale, que ces ressources biologiques soient exportées ou non. Il ne concerne cependant pas les ressources phytogénétiques visées par le traité de la FAO, ni les ressources biologiques utilisées à des fins strictement domestiques ou utilisées et échangées par les communautés locales dans le cadre traditionnel, culturel, religieux, spirituel ou coutumier , ni les ressources biologiques exploitées dans le cadre d'activités artisanales, agricoles, perlicoles, aquacoles ou de pêche, lorsque ces ressources ne font pas l'objet d'une activité de recherche et/ou de développement.
L’utilisateur doit en outre obtenir l’autorisation des propriétaires des sites où se situe la ressource convoitée, ainsi que celle des détenteurs des connaissances traditionnelles associées.
La demande d’accès est instruite par l’administration avec une attention toute particulière au regard des objectifs de protection de l'environnement et d'utilisation durable des ressources, ainsi que des perspectives de développement économique et social de la Polynésie française. L’autorisation est donnée, le cas échéant, par voie d’arrêté comportant toute prescription propre à garantir la conservation de la biodiversité ainsi que le respect des populations locales lors de la collecte des ressources naturelles et des connaissances traditionnelles associées.
Le nouveau dispositif pose en outre l’interdiction de toute exportation de ressources biologiques dès lors qu’elles ne sont pas exclues du champ d’application de la loi du pays, ou qu’elles ont été collectées sans l’autorisation requise.
2) Participation de la Polynésie aux bénéfices issus des ressources biologiques
La loi du pays prévoit la participation de la Polynésie française aux bénéfices monétaires ou non monétaires issus de la valorisation des ressources naturelles collectées. Cette participation est fixée dans le cadre d’une convention conclue entre la collectivité et l’utilisateur, qui comporte :
- une description détaillée des modalités d'utilisation des ressources, des résultats attendus, des modes et montants de financement mobilisés ;
- une évaluation des bénéfices monétaires ou avantages non monétaires qui résulteront de l'utilisation des ressources;
- une obligation d'information continue à la charge de l'utilisateur, par la remise de rapports d'activité et de rapports de résultats selon une périodicité fixée par les parties ;
- une répartition des bénéfices monétaires entre l'utilisateur et la Polynésie française selon des proportions fixées par les parties ;
- le détail des avantages non monétaires consentis à la Polynésie française.
Les avantages monétaires reçus doivent être affectés à la conservation et la valorisation de la biodiversité et des connaissances traditionnelles liées.
De la même façon, la loi du pays prévoit également un partage des avantages au profit des propriétaires de sites sur lesquels sont collectées les ressources ainsi qu’au profit des détenteurs de connaissances traditionnelles. Ce partage s’effectue de la même façon par voie conventionnelle entre les individus concernés et l’utilisateur. Il est garantit par l’obligation de produire la convention conclue à l’appui de la demande d’autorisation d’accès.
3) Sanction du biopiratage
D'après le dispositif, la collecte frauduleuse de ressources biologiques est punie de la peine d’amende applicable aux contraventions de quatrième classe (89 000 F CFP), tandis que l’utilisation de ressources biologiques en méconnaissance des dispositions réglementaires constitue un délit puni de trois ans d’emprisonnement et de 35 799 000 F CFP d’amende. Les peines d’amende, quintuplées lorsque l’auteur de l’infraction est une personne morale, peuvent également être portées à la moitié des bénéfices financiers générés par la valorisation frauduleuse.
4) Prévention des atteintes à l'environnement dans le cadre des activités de bioprospection
Le texte cherche enfin à renforcer la prévention et la réparation des atteintes à l’environnement liées aux activités de bioprospection, en autorisant la mise en œuvre de la procédure des amendes forfaitaires en cas de collecte frauduleuse et la possibilité de prononcer une sanction-réparation à la place ou en complément de la peine d’amende délictuelle.
Les peines complémentaires ainsi que les sanctions administratives prévues poursuivent le même objectif. Ainsi, le juge peut prononcer la confiscation des produits de l’infraction avec, dans la mesure du possible, réintroduction dans le milieu naturel des spécimens vivants. Quant à l’administration, elle peut notamment prescrire des mesures d'urgence visant à la protection des espèces concernées par l'accès irrégulier.
Emmanuelle Gindre
Docteur en droit, consultante, chargée d’enseignement à l’Université de Polynésie française